Bilinguisme et biculturalisme

BILINGUISME et BICULTURALISME vus par Michèle NARVEZ, membre du Conseil de l'innovation

  La notion de bilinguisme

La notion de bilinguisme n'a rien à voir avec la simple connaissance d'une langue. Les personnes bilingues, en effet, n'ont à aucun moment été conscientes de s'inscrire dans un processus d'apprentissage.

On peut parler de bilinguisme natif lorsque, dans une famille, le père et la mère ne parlent pas la même langue ou. qu'ils ont dû s'exiler. Mais le bilinguisme peut également être provoqué : certaines familles, soucieuses de donner un enseignement français à leurs enfants, faisaient par exemple appel à une gouvernante française.

On peut se demander si une personne bilingue parle aussi bien les deux langues qu'elle utilise. Nous n'avons d'ailleurs pas défini ce qui pourrait signifier " bien parler une langue ". Les recherches qui ont été menées distinguent différentes formes de bilinguisme. On parle de bilinguisme équilibré lorsque la personne a le même niveau de connaissance des deux langues. Ce bilinguisme est en fait très rare. Par opposition, on parle de bilinguisme dominant lorsque l'on peut constater un avantage d'une langue sur l'autre. Mais dans tous les cas, l'individu bilingue utilise sans problème les deux langues qu'il connaît.

Aujourd'hui, plus de 50 % des habitants de la planète sont bilingues, et ce pourcentage devrait encore augmenter du fait d'une plus grande mobilité planétaire. Certaines personnes sont bilingues à cause des caractéristiques de leur famille, d'autres en raison d'une migration ou du fait qu'ils habitent une zone frontalière ou un pays qui regroupe plusieurs langues. Le bilinguisme est extrêmement répandu en France.

Certaines notions sont proches de celle du bilinguisme. On parle de bilingualité lorsque l'on fait référence à la compétence de l'individu alors que le mot " bilinguisme " se rapporte plutôt à l'aspect sociologique. On utilise le terme de diglossie lorsque la personne maîtrise une langue imposée dans un cadre politique. Il s'agit par exemple du côtoiement du créole et du français dans les départements d'outre-mer.

Les spécialistes parlent également de bilinguisme de juxtaposition, par exemple pour la Suisse, pays qui reste monolingue même si les langues ne sont pas identiques dans chaque canton, ou de bilinguisme de superposition lorsque les langues se mêlent et se côtoient dans un même espace.

La notion de biculturalisme

Plus personne ne contesterait aujourd'hui que la langue n'est pas un simple vecteur arbitraire de la pensée, mais qu'elle se rapporte automatiquement à la culture. La langue est marquée par la civilisation, d'une part parce qu'elle est un produit socio-historique et d'autre part parce qu'elle est toujours une pratique sociale : aucune civilisation n'existe indépendamment de la langue.

L'individu bilingue et biculturel est quelqu'un qui non seulement parle plusieurs langues mais qui est aussi capable de passer d'une culture à une autre. Je pense que ces personnes sont capables d'une grande ouverture à l'autre et au monde. J'affirme cela sans naïveté : on pourrait en effet me répliquer que ce n'est pas parce qu'un Israélien parle arabe que les tensions avec les Palestiniens s'apaiseront. Il ne faut donc pas croire que le bilinguisme est une solution à tous les problèmes d'incompréhension et de malentendus. Il me semble toutefois que le monde de demain serait différent si ce sujet du bilinguisme et du biculturalisme était davantage considéré.

Le bilinguisme scolaire

On parle de bilinguisme scolaire lorsque deux langues sont utilisées à l'école comme vecteurs de l'instruction, lorsque l'on enseigne les disciplines dans les deux langues. Les établissements français à l'étranger peuvent donc être considérés comme des modèles de ce point de vue là.

Le bilinguisme scolaire ne correspond donc pas au fait d'apprendre plusieurs langues à l'école mais plutôt d'étudier différentes disciplines, comme l'histoire ou la biologie, dans deux langues. Le bilinguisme scolaire recouvre des réalités très différentes. En 1976, un spécialiste du bilinguisme a ainsi relevé 90 types de bilinguisme scolaire dans le monde.

La notion de bilinguisme entraîne automatiquement celle du biculturalisme. C'est donc l'ouverture de nos écoles qui est en jeu, c'est-à-dire l'ouverture à l'altérité culturelle et à la prise de conscience du caractère artificiel du monolinguisme.

En plaçant un enfant très jeune dans un univers bilingue, on lui donne davantage de possibilités intellectuelles pour comprendre le mécanisme d'une langue. En effet, lorsque l'on ne parle qu'une seule langue, on ne réfléchit pas au processus d'apprentissage de cette langue. En revanche, la personne qui utilise deux langues depuis l'enfance réfléchit de manière instinctive à l'apprentissage des mécanismes de la langue, ce qui lui permet d'apprendre plus facilement d'autres langues. Les élèves du lycée français de Bogota obtiennent ainsi des mentions au baccalauréat grâce à l'espagnol et à l'anglais. Ils sont doués en français et en espagnol, mais ils ont aussi des facilités pour apprendre l'anglais, ce qui peut s'expliquer par la proximité des Etats-Unis, mais aussi par le fait de pratiquer deux langues dès le plus jeune âge.

Les enjeux du bilinguisme

Le bilinguisme présente quatre enjeux majeurs. Le premier participe de la nécessaire adaptation de l'école à l'évolution de la société. Comme le dit un auteur contemporain : il n'y a plus " d'étrangeté pour l'étranger ". L'étranger est aujourd'hui partout, à la télévision, à la radio, sur internet. L'école est donc rattrapée par la réalité. Si nous ne voulons pas qu'elle prenne du retard, il me semble qu'il faut éviter à tout prix le divorce entre l'école et les langues. Curieusement, c'est bientôt la non-compétence linguistique qui deviendra une étrangeté.

En second lieu, la mondialisation des échanges ou l'économie de marché aura la conséquence suivante : on aura de moins en moins besoin de diplomates polyglottes mais de plus en plus de techniciens, informaticiens, artisans ou biologistes, qui manieront parfaitement plusieurs langues. L'enjeu économique réside donc dans notre capacité à former des Français qui pourront partir travailler dans un pays étranger et comprendre les astuces d'une langue, les non-dits qui surviendront dans la conversation.

Le troisième enjeu est d'ordre politique. Le Conseil de l'Europe a effectué deux recommandations au sujet des langues. L'objectif de la recommandation 1982/1988 sur le multilinguisme européen était que toutes les catégories de la population disposent des moyens d'acquérir la connaissance d'une langue d'un autre Etat membre. La recommandation 1990/1995 avait pour objet de développer l'éducation bilingue et l'enseignement d'une ou plusieurs matières dans une langue non maternelle. Selon de nombreux spécialistes, l'objectif serait de former un citoyen européen trilingue. Nous avons donc beaucoup de travail à effectuer pour relever ce défi, même si nos universités se sont déjà inscrites dans cette dynamique.

Enfin, si une culture du plurilinguisme ne s'installe pas rapidement en Europe, l'anglais sera la seule langue étrangère au XXIème siècle. La bataille pour le plurilinguisme est donc également une bataille pour une vision du monde différente. Plus nous défendrons non seulement l'enseignement du français dans le monde mais aussi l'enseignement d'autres langues que l'anglais, plus la France apparaîtra comme une alternative culturelle et politique.

Le français a longtemps été une langue d'occupation. On peut d'ailleurs considérer que les établissements français à l'étranger sont les reliquats de cet empire passé. Mais je pense que le français peut devenir aujourd'hui une langue de libération. Le monde actuel risque en effet de se heurter à deux écueils : celui de l'uniformisation anglaise et celui de la "Tour de Babel ". Les revendications des minorités linguistiques, comme le corse ou le breton en France, sont si fortes que la place des langues dans l'enseignement devient en effet une question brûlante.

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